La fabrication de la bière, suivant la température à laquelle a lieu la fermentation, 15 à 20˚C (fermentation haute) ou 4-5˚C (fermentation basse), engendre des produits tout différents. Dans le premier cas, l’on obtient les bières anglaises et les anciennes bières françaises ; dans le second cas les bières allemandes, autrichiennes, etc.
La composition des eaux employées lors de la germination de l’orge, les procédés d’extraction du malt par infusion ou par coction, la température lors de la fermentation donnant des résultats très différents, nous avons cru devoir insister sur les précautions à prendre dans les diverses phases de la fabrication de la bière afin de pouvoir caractériser les causes qui produisent des bières inférieures et les distinguer des falsifications proprement dites.
Quel que soit le genre de fermentation suivi, l’ensemble des opérations qui constituent le mode de fabrication reste à peu près le même dans tous les cas.
Il comprend quatre opérations distinctes :
— 1˚ le maltage ;
— 2˚ le brassage;
— 3° le houblonnage;
— 4° la fermentation;
Mentionnons, en ce qui concerne le maltage, les expériences de M. Lintner sur l’influence des eaux dans la germination. L’orge mouillée d’eau distillée donne un liquide lacteux, albuminoïde, très putrescible. Si l’on emploie de l’eau séléniteuse, ou si l’on ajoute du sulfate de chaux à de l’eau distillée, l’albumine reste insoluble dans le grain et le liquide limpide que l’on obtient n’est plus susceptible de se putréfier.
Ces faits permettent d’expliquer pourquoi les brasseurs qui recherchent les eaux sélétineuses de préférence aux eaux pures obtiennent de bons résultats; et c’est à la même cause qu’il faut attribuer l’agglomération des grandes brasseries anglaises autour des eaux de Burton.
Le brassage comporte plusieurs phases : la première a pour but d’épuiser le malt moulu par de l’eau tiède à 60-70˚C. Sous l’influence de l’eau chaude, l’amidon non transformé en dextrine, le sucre et la diastase, principes constituants du malt, réagissent, la saccharification s’achève et la solution ne renferme plus finalement que du sucre, de la dextrine et des matières azotées solubles.
Suivant le procédé suivi d’empâtage, de trempe ou d’infusion, on distingue deux modes différents de brassage. L’un dit par infusion, autrefois très répandu, est encore appliqué à Lyon et dans le Nord de la France. Il est, au contraire, presqu’exclusivement employé en Angleterre et en Belgique.
La méthode par décoction est beaucoup plus usitée en Allemagne et en Autriche ; actuellement en France, les brasseurs emploient cette dernière.
La seconde phase du brassage consiste à houblonner le moût et à refroidir rapidement la solution avant de déterminer la fermentation. Dans le procédé par infusion, le malt moulu versé dans la cuve-matière est empâté avec de l’eau froide, puis épuisé avec de l’eau chauffée à un degré tel que la température de la masse ne dépasse pas 50 à 55° et dans certains cas 65°.
Lorsque l’amidon a été complètement transformé en sucre par la diastase, on soutire le moût; un lavage est fait sur le résidu ou drèche, en ayant soin que la température de la masse ne s’élève pas au-dessus de 70.
Enfin les deux solutions sont réunies .
Dans la méthode par décoction, on mélange d’abord le malt avec de l’eau froide. On prélève ensuite une partie du liquide surnageant du malt que l’on porte à l’ébullition et que l’on verse alors dans le mélange primitif. Ce genre d’opération est désigné sous le nom de trempe. On la répète généralement quatre fois, de manière à ce que chaque trempe échauffe progressivement le moût de 30 à 35˚, de 40 à 60˚ et de 60 à 70˚, sans que la dernière trempe dépasse 75˚.
La température relativement élevée à laquelle la trempe est soumise transforme en empois l’amidon et coagule en même temps une partie notable des matières albumineuses, ce qui diminue l’action saccharifiante
sur l’amidon ; il en résulte qu’une forte proportion de ce dernier reste dans le moût à l’état de dextrine. Le moût ainsi préparé diffère du moût par infusion par sa plus grande richesse en dextrine, et inverse-
ment par une plus petite quantité de matières albumineuses et de glucoses, Les bières qui en résultent sont moins alcooliques, plus nutritives et d’une conservation plus facile. Les drèches qui restent dans les deux procédés sont épuisées complètement par l’eau, et le liquide qui résulte, très faible en extrait, sert généralement à la fabrication des petites bières ou bières de détail, souvent avec addition de glucose.
Les infusions successives obtenues par l’une et par l’autre de ces méthodes et séparées de la drèche, sont prêtes à subir le houblonnage. À cet effet elles sont dirigées rapidement dans de grandes chaudières, où elles sont portées à l’ébullition pendant un temps variable suivant les méthodes qui les ont fournies et les résultats à obtenir.
Sous l’influence de l’ébullition, les dernières parties d’amidon sont converties en dextrine, une partie des matières albumineuses est précipitée et le moût est amené à une concentration déterminée. Enfin, la quantité de houblon nécessaire pour aromatiser la bière ayant été ajoutée au cours de l’ébullition, et cette dernière entretenue pendant un certain temps, le houblon abandonne au moût du tannin, une huile essentielle et la substance amère connue sous le nom de Lupuline.
L’emploi du houblon a non seulement pour but de communiquer au moût le parfum et la saveur propre à la bière, mais encore de précipiter par son tannin une partie des matières albumineuses, ce qui fournit un produit plus limpide et d’une conservation mieux assurée.
Le moût ayant passé par ces diverses opérations, il reste à lui faire subir la fermentation, dernière phase de la fabrication de la bière et la plus importante à conduire.
Fermentation haute. — Le moût, au sortir des chaudières de cuisson doit être refroidi aussi rapidement que possible, afin d’éviter l’acétification.
Les refroidissoirs sont de grands bacs plats en tôle ou en cuivre placés dans des greniers très aérés.
La durée du refroidissement varie avec les saisons et le climat ; en hiver le moût reprend assez rapidement la température ambiante.
En été il n’en est pas de même et il est indispensable de recourir au refroidissement artificiel où à la glace.
Le moût ayant la température voulue, on procède à la fermentation, opération difficile, comme nous l’avons dit, qui exige de grands soins et une grande expérience de la part des brasseurs, la qualité de la bière en dépendant presque complètement,
La fermentation peut s’effectuer par deux procédés distincts, suivant la température à laquelle on la produit : soit 15˚ à 30˚, fermentation superficielle ou haute; soit de 4° à 5e, fermentation par dépôt ou basse.
Ces deux méthodes donnent des résultats très différents. Quel que soit, d’ailleurs, le mode de fermentation suivi, cette dernière, pour être régulière, exige absolument:
1° Des caves dont la température soit constante ;
2° De la levure très fraiche, d’une origine bien connue ;
3° Une quantité suffisante de levure, quantité qui devra être d’autant plus grande que le malt aura été plus touraillé et que la température de la fermentation sera plus basse,
Dans la fermentation haute, on opère généralement sur de grandes masses de moût, ce dernier est mis en levain avec de la levure fraiche provenant d’une opération précédente (environ le centième du moût
employé). Bientôt la fermentation commence, l’acide se dégage, la levure monte à la surface, et la température qui était, au début, de 5° à 10°, ne tarde pas à s’élever à 25—30°.
Pour les petites bières, on arrête la fermentation au bout de quelques heures; pour les bières de garde, on la maintient pendant deux ou trois jours au plus.
La rapidité avec laquelle la fermentation commence dépend en partie de la richesse du moût en sucre et en matières azotées, mais surtout, comme l’a démontré M. Pasteur, de l’origine de la levure ; ainsi la levure provenant de fermentation haute détermine toujours la fermentation haute ou rapide; la levure provenant de fermentation basse ne donne naissance qu’à la fermentation basse ou lente.
Du reste, par l’examen microscopique, M. Pasteur a observé que les deux levures ont une structure différente et que les cellules de la levure haute sont arborescentes, tandis que les cellules de la levure basse sont juxtaposées.
Dans la fermentation haute, le brasseur n’a pour ainsi dire pas à surveiller la température. Il doit surtout s’appliquer à éviter le contact prolongé de la levure avec la bière à laquelle elle donne un mauvais goût. Il doit donc faire écouler l’écume au fur et à mesure qu’elle arrive à la surface des cuves ou des barils. Ce genre de fermentation nécessite toujours la clarification de la bière.
Ici vient se placer une question délicate que nous étudierons lors des falsifications, le choix des agents employés à cette clarification facilitant l’introduction dans la bière de produits étrangers et souvent toxiques.
Fermentation basse, — Le moût refroidi à 10° ou 12° est dirigé dans des cuves contenant 25 à 30 hectolitres, On y ajoute de 6 à 10 kilos de levure fraiche et bien lavée, provenant de fermentation basse, et la température est maintenue absolument à 5° ou 6° au moyen de la glace que l’on introduit directement, ou bien à l’aide d’appareils permettant de maintenir la masse à ce degré.
Dans ce cas, la fermentation ne tarde pas à se manifester par un dégagement régulier d’acide carbonique; la levure ne reste pas à la surface, elle tombe au fond de la cuve, et au bout de 8 où 40 jours on peut soutirer la partie claire et la livrer à la consommation.
Pour obtenir les bières de conserve, le liquide ayant subi la première fermentation est dirigé dans de grands foudres placés dans des caves où il est abandonné à une température glaciale de 1° à 2° pendant six mois et plus. Durant cette période, la fermentation continue très lentement, la trans formation du sucre en alcool s’achève et la bière se clarifie complètement.
Il devient alors inutile de recourir aux agents chimiques pour obtenir ce dernier résultat.
Ce genre de fermentation exige de la part du brasseur une surveillance constante ; une faible élévation de température, 5° à 10, peut faire perdre à la bière les qualités de la bière fermentée à basse température.
Le malt étant d’un prix élevé, les brasseurs ont cherché depuis longtemps à introduire dans leur fabrication de l’orge non maltée, du blé ou du froment et même des matières féculentes ou sucrées, telles que le maïs, le riz et la fécule de pommes de terre, les sirops de fécule et de maïs.
Mais si la diastase existe en proportion insuffisante, la saccharification est difficile et incomplète ; d’autre part la quantité de principes azotés solubles étant trop faible, la levure se développe mal et la fermentation reste incomplète; la bière subit alors des fermentations secondaires, devient acide et se conserve mal.
Il ne faut pas dépasser 20 à 25% de la charge totale en produits non maltés.
Il nous reste à parler des agents employés pour clarifier la bière.
Il faut placer au premier rang : la gélatine; en présence du tannin du houblon, la gélatine se coagule; au besoin on ajoute préalablement du tannin. On se servait autrefois de pieds de veau, mais on clarifie maintenant avec des peaux de raie ou d’autres poissons.
La gélose ou algue du Japon (arachnoidiscus japonicus) s’emploie aujourd’hui beaucoup; on se sert aussi du carraghen ou mousse d’Islande (Fucus crispus) et de la graine de lin.
On filtre souvent les moûts sur des copeaux de noisetier ou de hêtre, et même sur des copeaux de buis, qui donnent en même temps de l’amertume à la bière en la rendant corsée.