Un extrait du “Traité complet de la fabrication de la bière et du malt”, daté de 1879 et coécrit par Jules Cartuyvels et Charles Stammer.
Lambick s’écrivait effectivement souvent avec un k, alors que de nos jours on l’écrit simplement lambic.
Ces trois espèces de bières se brassent de la même manière et souvent du même brassin. On y emploie ordinairement parties égales en poids d’orge germée et légèrement touraillée, et de froment non germé (1), qu’on mélange ensemble et soumet à une mouture grossière. On introduit dans la cuve-matière de l’eau à 45° C., jusqu’à quelques centimètres au-dessus du faux fond, puis on y verse deux à trois sacs de balles de froment et par dessus autant de matières ou farine mixte que la cuve peut en contenir : 400 kilogrammes de cette farine donnent une tonne de lambick et une tonne bière de mars, ou bien deux tonnes de bon faro, c’est-à-dire 460 litres environ.
En cet état, on fait arriver par le faux fond d’abord de l’eau à 45° C., puis de l’eau presque bouillante, jusqu’à ce que la cuve soit entièrement pleine. On brasse vivement jusqu’à ce que le mélange soit bien homogène et hydraté ; on recouvre la surface d’une légère couche de balles de froment, puis aussitôt on y enfonce de grands paniers (2) coniques en osier, et avec des bassins en cuivre, on puise le liquide qui pénètre dans ces paniers et on le verse dans une chaudière qu’on chauffe dès qu’elle est remplie de ce liquide, avec le liquide clair qui a passé par le faux fond. On donne alors avec de l’eau bouillante une seconde trempe qui se brasse, s’extrait et se chauffe avec la première pendant 20 minutes. Pendant ce temps, on relève la drèche sur le milieu de la cuve-matière, on garnit de balles de froment le pourtour du double fond, sur le milieu duquel on dépose 5 centimètres de cette même balle, après avoir rejeté la drèche sur les parois de la cuve, puis on égalise la matière et l’on verse par dessus le moût bouilli de la chaudière. Lorsque la cuve est presque pleine, on brasse légèrement la matière sans remuer le fond et on laisse reposer une heure, et enfin on tire au clair par le fond de la cuve.
Quand le moût est coulé, on donne encore deux autres petites trempes à l’eau bouillante, qu’on traite comme les premières, mais qui servent à une seconde qualité de bière et à préparer le faro et la bière de mars, tandis que les deux premiers métiers servent à préparer le lambick.
On fait ordinairement bouillir 5 à 6 heures le moût pour le lambick ordinaire et l’on emploie par hectolitre de moût 780 à 860 grammes de bon houblon d’Alost et de Poperinghe de première qualité ou de houblon exotique anglais, ou préférablement d’Allemagne, qu’on ajoute au moût qui, dès qu’il est clarifié, est versé de nouveau dans la chaudière. Après la cuisson, ce moût est versé sur un bac à houblon.
Pour préparer le lambick, le moût de la première chaudière est reçu dans la cuve-guilloire à 14° ou 16° C. dans les temps très-froids, et à 10° ou 12° par les températures ordinaires d’automne et de printemps. Dès que le moût est réuni dans la cuve-guilloire, on l’entonne dans des futailles de deux à trois hectolitres sans aucune addition préalable de ferment quelconque.
La seconde qualité de moût, après avoir bouilli 12 à 15 heures, est séparée du houblon comme le premier métier, puis refroidi et entonné au même degré que lui et aussi communément sans aucune addition de ferment. Le moût entonné est, dans les 24 heures, transporté dans des magasins ou celliers tempérés où les futailles sont superposées les unes sur les autres en deux étages et en deux ou trois rangs de tonneaux disposés de manière qu’on puisse visiter facilement l’un des fonds de toutes les pièces, ainsi que la bonde qu’on laisse entr’ouverte pendant toute la saison chaude de la première année, en ayant soin de remplir de temps en temps les tonnes. La fermentation, qui se déclare tantôt au bout de 3 à 4 mois seulement, dure ordinairement 8 à 10 mois et se prolonge quelque- fois pendant 18 à 20 mois. La bière n’est ordinairement bien faite qu’au bout de 20 mois à deux ans, époque à laquelle elle est soutirée, coupée, c’est-à-dire mélangée, et apprêtée.
La densité du moût de lambick qui était de 7° à 8° Baumé (3) au moment de l’entonnage, est alors réduite, par la fermentation, à 2° ou 3°, et si la bière est bien réussie, elle a acquis beaucoup de force et un bouquet agréable. L’odeur du houblon a entièrement disparu pour faire place à une autre, pleine de vinosité et de finesse, qui frappe l’odorat. Mais la saveur ne répond pas à son odeur, elle est encore fort amère, rude ou àpre au goût et réclame un correctif qu’on lui donne par l’apprêt.
Pour préparer le faro, quelques brasseurs réunissent les deux qualités de moûts de la cuve-guilloire, entonnent, emmagasinent et font fermenter
comme le lambick et la bière de mars ; mais cette bière se prépare le plus généralement en mélangeant le lambick avec à peu près parties égales de bière de mars entonnées et fermentées séparément. Dans tous les cas, le faro n’est jamais une bière pure et sans mélange, car les brasseurs qui préparent directement cette bière ne la livrent jamais à la consommation sans la couper avec d’autres brassins, les uns plus vieux, les autres plus jeunes, et sans y ajouter, comme pour la bière de mars et le lambick, une certaine quantité de cassonnade. Cette préparation ultérieure de ces bières est un travail délicat et important, qui le plus souvent ne se pratique pas à Bruxelles chez le brasseur, mais chez le cabaretier et le débitant de boissons. L’apprêt proprement dit du faro, c’est-à-dire la manière de couper les bières qui servent à le préparer est une chose difficile, car les bières de Bruxelles, tant par leur composition que leur mode de fermentation, sont sujettes à être tantôt amères et tantôt acides, ou à avoir des goûts si différents, qu’il faut un palais exercé et une bien grande habitude pour obtenir, en les mélangeant en certaine proportion, toujours sensiblement le même goût et le même bouquet, tout en faisant passer les mauvaises avec les bonnes.
(1) La coutume séculaire pour les bières de Bruxelles est d’employer le froment cru. Dans ces derniers temps néanmoins, certains brasseurs de faro ont adopté sans inconvénient le mode de faire aussi germer le froment : si ce mode n’a pas été pratiqué précédemment ou généralisé de nos jours, cela ne tient nullement à l’inhabileté des praticiens, reconnus très-experts, mais bien aux exigences de la tradition chez le consommateur. Le goût du faro obtenu de froment malté est excellent et distingué : mais il n’est pas identique à celui des bières de grain cru, d’où la difficulté d’en opérer la diffusion.
(2) Dits Stuykmanden
(3) NDLR: À 20 °C, la correspondance entre la densité et les degrés Baumé pour les liquides plus denses que l’eau (densité > 1) : d = 145 ÷ (145 – B°) ;
7˚B = 1.051, 8˚B = 1.058, 3˚B = 1.021, 2˚B = 1.014