Dans la ville de Liège et tous ses environs, on prépare deux espèces de bières fort connues dans le pays sous les noms de bière jeune et bière de saison. Ce sont deux espèces de bières assez ambrées, surtout la seconde, qui est une bière de garde assez forte qu’on ne consomme que quatre à six mois après sa fabrication, et qu’on ne prépare guère que dans la bonne saison d’où elle a sans doute tiré son nom, tandis que la bière jeune, comme le dit son nom, se consomme très-fraiche, souvent au bout de dix à quinze jours. Cette dernière se brasse toute l’année, à l’exception toutefois des temps de forte chaleur qui se font respecter par la plupart des brasseurs.
Les céréales qu’on emploie généralement pour préparer ces deux espèces de bière sont l’orge, l’épeautre, le froment et l’avoine; mais un assez grand nombre de brasseurs n’emploient en hiver ni orge ni avoine, c’est surtout l’épeautre qui fait la base de cette fabrication. L’épeautre et l’orge sont seuls soumis à la germination, encore ne la pousse-t-on pas fort loin, on l’arrête généralement dès que les racines ont un centimètre de long. La dessiccation se commence généralement à l’air et s’achève aux tourailles ordinaires. Les grains germés et non germés sont généralement mélangés ensemble avant d’être écrasés aux meules. Voici d’après un homme digne de foi la composition ordinaire des brassins faits dans une brasserie liégeoise. Pour un brassin de 65 à 70 hectolitres de bière jeune ou 42 à 45 hectolitres de bière de saison l’on emploie 1200 kilog. de drèche ou matière farineuse consistant ordinairement en épeautre germé et froment non germé. Le mélange farineux est versé dans une cuve-matière de 35 hectolitres de capacité, ce qui fait un peu plus de 37 kilogrammes par hectolitre de cuve-matière, et l’on donne, par le faux bac à jeter, huit à dix tonnes d’eau marquant 40 à 45 degrés centigrades; l’on fait plonger la farine pour l’hydrater, puis on ajoute de l’eau bouillante jusqu’à ce que la cuve-matière soit pleine ; dès lors on brasse fortement à six hommes, et dès que le mélange est parfait on laisse reposer un quart d’heure a une demi-heure, puis on fait écouler le moût dans le bac reverdoir. Dès que le moût de ce premier métier ne coule plus ou très faiblement, on donne de nouvelle eau bouillante, assez pour remplir la cuve-matière, et l’on brasse comme la première fois; l’on fait ainsi successivement quatre trempes dont les trois dernières à l’eau bouillante, et si l’on veut obtenir de la bière jeune, les divers métiers sont tous réunis dans la même chaudière ou dans la même cuve-guilloire, après avoir subi une ébullition assez vive, mais de deux à trois heures seulement, avec 3/4 de livre de houblon jeune par tonne de moût. L’ébullition ayant communément lieu en chaudière ouverte, l’évaporation est assez forte et l’on compte généralement qu’il faut dans la chaudière 88 à 90 hectolitres de moût pour obtenir 65 à 70 hectolitres de bière jeune fermentée.
Si l’on veut préparer de la bière de saison, les trois premiers métiers subissent une ébullition très-vive durant six à huit heures avec 2 à 3 livres de bon houblon jeune par tonne de bière. Pour préparer cette bière l’ébullition, qui a généralement lieu en vase découvert, est si forte que le moût est par l’évaporation réduit aux 3/4 de son volume primitif, du moins c’est ainsi qu’on opérait communément en 1837. Le moût de l’une et de l’autre de ces deux espèces de bières après la cuisson repose deux heures environ dans le bac à houblon, d’où on le soutire dans les bacs refroidissoirs lorsqu’il est bien déposé et parfaitement clair. Après l’avoir laissé refroidir jusqu’à 25 ou 26 degrés par les temps froids, et autant que possible à 20 ou 22 en été, on le fait couler lentement dans la cuve-guilloire où l’on y ajoute deux à trois décilitres de levure par hectolitre de moût, puis on entonne immédiatement dans de petites futailles qu’on porte dans un cellier convenable pour lui faire subir une fermentation qui dure, deux à trois jours en été et trois ou quatre en hiver. Dès qu’on a recueilli la levure on remplit les futailles, on les bouche et si c’est de la bière de saison on l’emmagasine pour trois ou quatre mois au moins ; si c’est de la bière jeune on commence à la livrer aux consommateurs au bout de huit à dix jours en été, et dans trois semaines à un mois en hiver.
La bière de saison dont le moût final avant la fermentation marque 6 à 7 degrés Beaumé, se conserve assez bien pendant un à deux ans, pourvu que les futailles soient dans un endroit frais et que la bière soit brassée en hiver ; car les bières de ce genre qu’on brasse quelque fois en avril ou mai s’aigrissent souvent avant la fin de l’été de la même année. Je crois utile de faire observer que dans la plupart des brasseries de Liège, pour préparer les bières ci-dessus mentionnées on est dans l’habitude de faire la trempe d’autant plus chaude, et d’autant plus promptement que la saison est plus chaude, et en cela on a parfaitement raison; car la température à laquelle se prépare le premier métier, en hiver, ne dépassant guère 45 à 50 degrés, la saccharification se fait mal, par suite, la filtration du premier métier est fort lente et fort difficile, et, eu raison- des matières premières qu’on emploie, le mélange serait fort exposé à contracter une fermentation lactique ou visqueuse, en été surtout, si la température du mélange n’était pas plus élevée.
Vu la nature des grains et la composition des mélanges farineux qu’on brasse généralement dans la province de Liège, je dois dire que la méthode communément usitée, pour le travail dans la cuve-matière, est très-défectueuse, car les matières qu’on brasse sont trop compactes, trop féculentes, trop azotées et la cuve-matière toujours trop remplie pour pouvoir bien faire le premier et souvent le second métier. Pendant ces deux trempes et durant la première surtout, la température est trop basse et la proportion d’eau trop faible pour produire une bonne fermentation saccharine ; aussi le premier métier coule toujours lentement, passe fort trouble, souvent même épais, au point qu’on devrait toujours employer les paniers, stuyk-manden , pour l’effectuer plus promptement ;car comme je l’ai expliqué dans la première partie, une filtration lente dans les conditions que je viens de mentionner est très- dangereuse pour le brassin ; aussi dans la province de Liège, surtout en été boit-on plus de mauvaises que de bonnes bières.
Pour traiter les proportions, ci-dessus mentionnées, de froment non germé et d’épeautre, il serait bien préférable de suivre la méthode de Malines, ou mieux encore celle de Louvain perfectionnée comme j’ai dit à l’article de cette bière ; mais, dira-t-on, on n’obtiendrait pas alors la même bière ? Non, sans doute, la bière n’aurait pas exactement le même goût, car elle serait bien meilleure ; mais elle aurait une grande analogie avec elle si l’on observait les mêmes proportions, et puis, doit-on tenir à une bière quand elle est souvent gâtée ou mauvaise, et tout au moins fort médiocre en qualité, quoique préparée avec de très- bonnes matières premières ?
Une tonne à Liège doit faire 112 litres.
La densité se calcule comme ceci à partir des degrés Baumé: d = 145 ÷ (145 – °B)
La densité initiale de la bière de saison, se trouvait donc entre 1.043 et 1.050.
La livre était de 489.5 grammes avant 1839, puis 500 grammes ensuite.
Le houblon employé pour la bière jeune revenait alors à 375g par tonne de bière finie, soit 3.35g par litre.